Il était une fois, un honnête meunier du nom de Thierry qui était respecté de tous les habitants de la seigneurie Champagne. Il gagnait un salaire plus que suffisant pour subvenir aux besoins de sa fille de seize ans, Marguerite, et aux siens. Un printemps, il alla visiter de la parenté dans un autre domaine et passa devant un pré où paissait une horde de chevaux de selle. Son regard fut attiré par un étalon à l’écart. Il était d’un gris presque blanc, à l’instar de la farine que Thierry produisait. Chaque tentative de l’animal pour s’approcher de ses congénères lui valait force ruades. À l’évidence, le groupe le rejetait en raison de sa robe trop voyante. Néanmoins, le mal-aimé revenait sans cesse à la charge. Le meunier aux mèches d’argent admira sa force de caractère : il fit une offre à son propriétaire. Celui-ci ne se fit pas prier, et Thierry attacha la bête derrière sa charrette.
Dès qu’il arriva chez lui, sa gracieuse fille fut charmée par son acquisition. Elle l’appela Majesté. Au fil des mois, elle se prit d’affection pour l’étalon. Avec douceur, elle parvint à l’apprivoiser et à le chevaucher. Lorsqu’elle galopait près du fleuve, ses cheveux ainsi que les crins de sa monture se fondaient avec le vent. Les pêcheurs lui jetaient des quolibets au sujet de la couleur tape-à-l’œil de cette dernière, mais elle ne les écoutait pas. Au temps des moissons, un homme vêtu d’une longue tunique bourgogne vint au moulin à la faveur du soleil levant. Le maître des lieux le salua chaleureusement même s’il ne l’avait jamais vu. Le visiteur se présenta comme le comte Duval. Thierry le connaissait de nom : on le disait imprévisible. Le gentilhomme lissa sa moustache et indiqua Majesté qui trottait dans un pré attenant.
— C’est un bel animal que vous avez là, remarqua-t-il sur un ton mielleux. Je vous en donne une bourse de pièces d’or.
— Hélas, il n’est pas monnayable. C’est l’ami de ma fille.
— Diantre, vous êtes un fin renard! J’ajoute un coffre de pierres précieuses à mon offre précédente.
Thierry ébaucha un signe de négation. Son interlocuteur plissa les yeux de colère.
— Allons, entendez raison! Qu’est-ce qu’une roturière pourrait faire d’un coursier de si noble allure? Il sera mieux assorti à un homme de ma trempe.
— Partez, demanda le père d’une voix sèche.
L’offenseur s’écarta d’un pas raide. Tout d’un coup, il leva les mains en l’air et gémit comme s’il accomplissait un effort incroyable. Le meunier comprit, tremblant, qu’il avait affaire à un sorcier. Quand celui-ci se retira, le moulin avait cessé de tourner. Était-il brisé? Thierry s’empressa d’examiner les ailes. Puis, il entra dans le bâtiment pour en faire autant avec le mécanisme de rotation. Tout semblait en ordre… L’exploitant ressortit et réalisa soudainement qu’il ne ventait plus du tout. Quelle catastrophe! Le mauvais sort se limitait-il à son fief ou était-ce encore plus grave? Il attela les boeufs à sa charrette et traversa les vergers seigneuriaux dont les feuilles ne frémissaient pas. Ensuite, il se rendit au bord du fleuve. Les voiliers étaient cloués au quai, les pêcheurs se languissant de la brise.
Confus, Thierry avoua à ces derniers ce qu’il s’était passé. Ils le supplièrent de retrouver le comte Duval afin de satisfaire sa requête. Or, il s’y refusait. Au crépuscule, l’air ne se déplaçait toujours pas. Les censitaires organisèrent une réunion extraordinaire à l’église. Thierry apprit que le phénomène affectait uniquement la seigneurie Champagne et ses environs immédiats. L’assemblée lui accorda une semaine pour régler la situation. S’il échouait, ses voisins s’empareraient du «canasson blanc» dans le but de le remettre au mage courroucé.
Cette nuit-là, Thierry s’ingénia à trouver une solution. Alors qu’il désespérait de réussir, il eut une inspiration. On racontait qu’une magicienne très âgée vivait à cent lieues de là, sur une terre désolée. Elle exauçait les souhaits des malheureux. Le matin venu, le meunier en parla à sa fille, qui résolut d’aller la visiter. Marguerite accrocha des sacs de provisions à sa selle et partit. Son père avait vu juste : Majesté était doté d’une remarquable volonté. Pendant des jours, ils avancèrent vaillamment à toute allure, ne s’arrêtant que pour manger et boire. Le cheval parvint à destination en pleine forme; la cavalière, elle, était épuisée. Elle tapota sa monture, en descendit et la fit marcher à son côté.
De hauts rochers concaves s’étendaient à perte de vue. « On dirait des dents prêtes à nous broyer », songea l’adolescente. « La magicienne est-elle aussi affable qu’on le prétend? » Marguerite s’efforça de chasser la crainte de son coeur. Elle entreprit la recherche d’une cabane et finit par en distinguer une à travers les pierres. Elle approcha de la porte à pas incertains et cogna. Au troisième coup, une femme toute ridée sortit. Une robe claire de même qu’un châle vaporeux la drapaient. Marguerite lui fit une révérence et lui exposa son problème. Alors, la magicienne leva un doigt : les rochers environnants se mirent à léviter. Ils changèrent de place et formèrent une grande étoile à huit branches.
— Une rose des vents! s’exclama Marguerite.
La sorcière lui fit un clin d’œil.
— Confie-moi ton cheval, petite. Je promets de te le rendre tantôt.
Elle hésita et lui tendit les rênes de Majesté. La vieille femme amena l’animal au centre de l’étoile puis s’adressa à lui.
— Tu t’appelleras désormais Vents d’ici. Il t’appartiendra de brasser l’air de la seigneurie Champagne de façon convenable. Quand tu te dirigeras vers le nord, tu créeras une bise dont la force dépendra de ton allure. Lorsque tu choisiras le sud, tu donneras naissance à un souffle plus chaud, et ainsi de suite. Le meunier n’aura plus peur que son moulin batte trop vite, et les pêcheurs ne redouteront plus les vents contraires ou les tempêtes. Tu seras constamment sollicité, mais tu as prouvé ton endurance en venant jusqu’ici. Les autres chevaux t’envieront ton pouvoir magique et l’amour que te porteront les gens. D’ailleurs, ton don se transmettra à tes poulains.
Vents d’ici poussa un hennissement de bonheur. Marguerite remercia leur bienfaitrice avec effusion et conduisit l’étalon loin des rochers. Elle remonta en selle et demanda un départ au grand galop. Son compagnon s’élança et déclencha des rafales sur leur passage. Enfin, ils rentrèrent chez eux. La cavalière descendit à terre, chancela et dessella son coursier. Aussitôt, Vents d’ici commença à trotter en effectuant de grands cercles autour du moulin. Celui-ci se remit vite à fonctionner. Père et fille travaillèrent d’arrache-pied afin de produire de la farine nourrissante.
Après, l’étalon blanc se rendit fièrement au bord du fleuve pour gonfler les voiles des embarcations de pêche. À leur retour, il put se reposer. Il atteignit un enclos et fanfaronna devant ses congénères. Petit à petit, il fut accepté d’eux comme il en avait toujours rêvé. Les nombreux poulains qu’il engendra l’aidèrent à entretenir les vents de la seigneurie. Le comte Duval revint une fois au moulin, rongé de convoitise à l’idée de posséder une monture admirée de tous. Cependant, il n’eut pas le temps de jeter un autre sortilège : Vents d’ici tourna autour de lui et créa une tornade qui l’envoya au loin.
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